Le banc

 

 

Un fou !.. Oui, un fou !.. Pourquoi aurais je bougé de ce banc ?

Que je vous raconte !

Assis là, sur ce banc, je regardai passer les gens. Une manière comme une autre de regarder passer le temps. Et il est passé devant moi. Lui, pas le temps !

Sur le coup, je n’y ai guère prêté attention. Le type même du type passe partout. Insignifiant, quoi. Plutôt petit, un cartable à la main, un journal sous le bras, un chapeau sur la tête, et le regard déjà ailleurs. Quelque temps plus tard, il repassait devant moi. Dans l'autre sens..

Mais lorsqu’il est passé et repassé devant mon banc pour la 57ème fois, alors là, je me suis dit..

 "C'est tout de même bizarre ce type qui passe et repasse devant moi !"

 Au bout de 351 passages et repassages, n’y tenant plus, je l’ai interpellé.

- Dites donc, vous, là ?.. Oui, vous !.. On peut savoir pourquoi vous passez et repassez devant moi sans arrêt ?

Il a eu l’air surpris, et il ne m’a pas répondu.

Je n’ai pas insisté, et j’ai souri du sourire du monsieur à qui on ne la fait pas.
Mais son manège a continué. A une nuance près toutefois. Il me regardait quand il passait, ce qu’il ne faisait pas auparavant.

Enfin, quoiqu’il en soit, je fis comme si de rien n’était.

Il est passé et repassé ainsi devant moi plus de 3000 fois. Plus ou moins vite suivant le cas, mais toujours en me regardant.

Et puis, alors que je commençais à m’y habituer, il a brutalement craqué. Il s’est arrêté devant mon banc, et il m’a adressé la parole..

- Dites, monsieur, excusez mon indiscrétion mais, si mes calculs sont exacts, cela fait aujourd’hui dix ans que , tous les matins, en me rendant à mon travail, et tous les soirs, en rentrant chez moi, je vous trouve là, assis sur ce banc. Vous ne bougez jamais ?

Qu’est ce que je vous disais ?.. Un fou !

 

 

 

--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Georges Berdot 1968