Le
pendu
Une
petite rue où le jour se mirait fadement sur les pavés. Et tout en bout, un
carré de lumière clôturé de murs blancs et de volets fermés. Un arbre. Un
banc tout éclaboussé de jaune. Et un soleil de feu qui embrasait le tout. Une
transparence de formol. Même contenu en suspens.
Je
crus la place déserte. Sortant de la pénombre de la rue, je fis un pas en
avant. Je vis alors l'homme et le pendu..
L'homme
? Un vieillard, vêtu de noir, dos voûté, visage buriné, lèvres blêmes..
Le
pendu ? Un jeune garçon, un visage amusé, un sourire étrange..
L'homme,
assis sur le banc, regardait le pendu. Je m'approchai. L'homme me salua. Je répondis
à son salut..
L'homme
se fit plus vieux. Sa voix me pénétra tout doucement..
- Cette
petite place a accouché d'un pendu. Et personne n'a voulu ou pu couper le
cordon.
Le
figé de la place me pesait. Je savais ce que l'homme allait me dire..
- Ce
pendu là dérange. Mais voilà, on ne décroche pas les pendus. Alors, on préfère
éviter la place. Je ne sais trop ce qui m'a poussé ici. Et il est probable
qu'il en est de même pour vous.. Vous avez vu ? Il semble sourire !.. Non. Il
sourit !..
Sa
voix était toute de vide blasé. Elle ne tremblait pas. Elle affirmait..
- Savez
vous que notre ville a trois places. Trois. Pas une de plus. Décidé par Untel
et accepté par tous. Trois places. L'une est déjà morte, prise par un pendu.
Reste deux. Un jour, peut être, les pendus prendront place..
Couperet
de sa voix. Je crus bon de dire..
- Ce
jour là, on décrochera les pendus !
L'homme eut un petit rire amusé.
- Non,
ce jour là, on démolira et on refera des places. En plus grand nombre peut être.
On détruira sans forcément reconstruire. Oui. On réinventera..
L'homme me regardait. Il souriait. Il tenait à la main deux cordes de chanvres et, tout doucement, il me demanda..
- On y va ?
Je
regardai le pendu. Il souriait lui aussi. Sourire de génésis..
Je répondis..
- On y va
!
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Georges
Berdot