L'orchestre
Sujet = Les pensionnaires d’un hospice « s’évadent » et se transforment en orchestre symphonique afin de fuir leur triste quotidien..
Extérieur..
Un grillage.. Une cour.. Un entrepôt désaffecté (ce pourrait être une usine) dont la toiture est trouée
Arrivent 4 petits vieux..
Ils semblent épuisés.. Ils marchent avec difficulté..
Chacun porte une valise..
Ils franchissent (non sans difficulté) le grillage..
Ils se dirigent vers l'entrepôt..
René conduit le groupe..
Suivent Jef, Marc et Luce..
René est "sérieux", posé, réfléchi..
Bernard est bougon, impulsif, assez "remuant"..
Marc, quant à lui, est visiblement "ailleurs". Un grand sourire. Un côté "beubeu"..
Luce est douce, affable, et ne se départit jamais d'un petit sourire narquois..
René pousse la porte de l'entrepôt..
René
(triomphant) Voilà, nous y sommes !
Le groupe entre dans l'entrepôt..
Intérieur
Des caisses éventrées (ou d'anciennes machines rongées par la rouille) gisent ça et là..
René
Alors, qu'en pensez vous ?
Marc
C'est bien, c'est même très bien..
Luce
Un peu loin peut être. J'ai du mal à récupérer.
Jef
C'est sale, c'est humide, on va attraper la crève !
Luce
Mais non, c'est bien, c'est même très bien..
Jef
Tout est vieux, tout est mort, on se croirait dans un caveau !
René
Vous êtes incorrigible, jamais content, toujours à ronchonner !
Jef
Je ne ronchonne pas, mais je dis, qu'à notre âge, on a déjà un pied dans la tombe, et que ça n'a rien de drôle de jouer les unijambistes, mais, là, c'est pire, on se croirait dans un caveau, et je me fais l'effet d'un cul de jatte. Vous voulez que je vous dise, on aurait du rester à l'hospice !Luce
Jef, vous dites des sottises, et vous le savez !.. (à René) Comment avez vous trouvé ?
René
Par hasard, dimanche dernier, je me promenais, et j'ai vu cette grande bâtisse. Elle m'a semblé abandonnée, alors j'ai pensé que..
Jef
Elle est à 5 kilomètres de l'hospice, votre grande bâtisse abandonnée. Alors, quitte à se promener, le cimetière était plus près !
René
(énervé) Oui, mais le cimetière, ce n'est pas à pieds que vous ferez le voyage ! Par contre, moi, j'aurai grand plaisir à marcher derrière vous !
Jef
(très matamore) De quoi, de quoi ?
Luce
Allons, voyons, du calme.. Nous ne sommes pas venus ici pour nous disputer !
Jef
(buté) Ni pour y rester ! Luce, je ne dis pas ça pour vous être désagréable, mais, quand on vous regarde, on est en droit de se demander si notre petite escapade ne va pas tourner à la veillée funèbre..René
Ha ça, comment pouvez vous..!!.. Vous êtes impossible !
Luce
(amusée) Mais ce n'est rien.. Jef, vous vous souvenez de ce pauvre Gaston ? Il avait si peur de mourir qu'il refusait de quitter son lit. Il ne voulait plus bouger. Il se cramponnait à ses draps comme à une bouée de sauvetage !..Jef
Oui, je m'en souviens, et alors ?
Luce
Et alors, il est mort quand même !
Marc
C'est bien, c'est même très bien..
Jef
Où voulez vous en venir ?
Luce
Si je dois y "rester" comme vous dites, autant que ce soit ici ou sur le chemin du retour. Nulle envie de terminer ma vie à l'hospice, avec un thermomètre dans le derrière, et la désagréable impression de jouer les brochettes !.. De plus quand on sait que j'ai demandé à être incinérée !
René
(affectueusement) Luce, allons, voyons..
Luce
Je plaisantais !.. Et si on s'y mettait ?.. Pensez au retour, ça ne nous laisse que très peu de temps !
René
Vous avez raison !..
Ils ouvrent leur valise. Ils en sortent un frac et des baguettes en bois..
On "s'habille".. On regroupe quelques caisses afin de servir de sièges..
Marc et Luce s'assoient côte à côte..
Jef, debout, se positionne derrière eux..
René, monté sur une caisse, fait face au groupe..
Luce
On joue quoi, aujourd'hui ?
René
Que diriez vous de Cosi Fan Tutte de Mozart ? Nous ne l'avons jamais joué, ce serait une première !
Marc
C'est bien, c'est même très bien !
René
(jouant les chefs d'orchestre) S'il vous plaît !..
Il "lance" la musique..
On "joue"...
Violon pour Marc et Luce (gestuel simultané)/ Percussions pour Jef..
René
(interrompant le jeu, furieux) Non, non et non ! Jef, vous n'êtes pas à ce que vous faites. Votre attaque n'est pas assez franche !
Jef
(brusque accès de colère) Et merde !.. On a l'air de quoi avec nos baguettes ?.. Si, au moins, on nous amenait un bol de riz, mais non, on est là, comme des cons, à jouer les gugusses !.. Pourquoi qu'on est pas resté à l'hospice ?
René
Mais vous savez bien que c'est impossible. On ne peut pas jouer à l'hospice. Du silence, du silence, voilà ce qu'ils veulent !
Luce
Le vieux Léonard, ils lui ont confisqué son harmonica. Alors, vous pensez, nous, un orchestre !
Jef
Mais le Léonard, c'était un vrai harmonica qu'il avait ! Nous, on fait semblant !
Luce
Oui, on fait semblant. Et alors ?.. Jef, nous sommes de petites gens, des humbles, et nous l'avons toujours été.. Nous sommes de ceux qui ont rêvé leur vie, pas de ceux qui ont pu vivre leurs rêves. On en a jamais eu les moyens !
Jef
Mais détrompez vous, j'ai une pension qui est.. qui est..
Il ne peut poursuivre devant le regard des autres. Il aimerait pouvoir dire qu'il a une pension conséquente mais il ne peut se décider à mentir..
Luce
La mienne me permet de manger midi et soir, de dormir dans un lit, et de changer de sous vêtements tous les jours !
Marc
C'est bien, c'est même très bien !
Luce
Par contre pour ce qui est de m'offrir un violon !
Jef
..!!..Bon d'accord, mais quitte à faire semblant, on avait pas besoin de venir jusqu'ici. On est jamais venu jouer aussi loin !.. Et puis c'est immense !
René
Non, c'est grandiose ! Finies les petites tournées dans les cabanes de jardin, les abribus, les garages.. On mérite mieux !.. Il n'est pas dit d'ailleurs que la semaine prochaine..
Jef
Quoi, la semaine prochaine ?
René
Carrefour !
Luce
Carrefour, le magasin ?
René
Oui. Il suffit de s'y cacher et d'attendre que le magasin ferme ! On aurait toute la nuit pour jouer !.. A bien y réfléchir, ce pourrait être là le début d'une grande tournée.. Castorama, Jardiland, la patinoire, l'aéroport..
Luce
Mac Do ?
René
..!!.. Si on veut !
Jef
..!!.. Vous êtes complètement givrés !.. On ne sait même pas si on joue bien !
Marc
On a progressé, et c'est bien, c'est même très bien !
Jef
..!!..
On "regarde" Jef ! On semble vouloir lui faire comprendre qu'il se doit d'accepter le "jeu"..
Jef
..!!.. (abattu) Excusez moi. je ne sais pas ce que j'ai aujourd'hui !
Luce
(doucereuse) Vos enfants avaient promis de venir vous voir dimanche dernier ?
Jef
Oui..
Luce
Et ils ne sont pas venus ?
Jef, accablé, ne répond pas..
Marc
C'est bien, c'est même très bien..
Luce
Ecoutez la musique, Jef, écoutez la musique..
Elle lui sourit.
Requinqué, Jef répond à son sourire..
René
Allez, on reprend !.. Je vous donne la note !.. ..??..
Luce s'est affaissée brusquement sur elle même..
Tous réalisent très vite qu'elle est morte..
Marc
C'est bien, c'est même très bien..
Jef
Qu'est ce qu'on fait ?
René
On continue !.. Mais on va changer de morceau !.. Fantasia !
Jef
..??.. Mais c'est beaucoup trop rapide, on n'y arrivera jamais !..
René
Si, pour Luce ! C'était le morceau qu'elle préférait !..
On se consulte du regard / On acquiesce..
René
(au bord des larmes) S'il vous plaît !..
Ils jouent..
La scène devient "irréelle".
Le "rythme de jeu" s'accélère..
Jef, "tape" en tournoyant sur lui même. Il se heurte à une caisse, chute, et se fracasse la tête..
Marc s'enfonce la baguette dans la gorge (accident ? Acte volontaire ? On ne sait !)..
Il sourit, commence à dire "C'est bien, c'est même..", il s'écroule à son tour..
René est toujours debout sur sa chaise, baguette à la main. Il semble en transes..
R
enéJe l'entends !.. Je l'entends !.. Je l'entends !..
Et brusquement la musique se fait entendre..
Oui, je l'entends..
La musique se fait plus forte..
Vous n'avez jamais aussi bien joué !.. Jamais !..
La musique enfle.. Il hurle..
Je l'entends.. Je l'entends !
Il s'immobilise soudain.. puis s'écroule !..
La musique cesse tout aussitôt..
La caméra s'élève..
Plan sur les corps sans vie des 4 "musiciens"../..
extérieur
../.. puis sur le toit éventré de l'entrepôt..
puis sur la cour..
puis sur un groupe d'enfants qui marche le long du grillage..
La caméra s'approche des enfants..
3 petits garçons et une petite fille.. Ils ont improvisé une fanfare !
L'un des enfants, muni d'un bâton, donne la mesure.
Les trois autres suivent en soufflant dans des bambous !
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Georges Berdot